Philippe Marinig, interview de l’auteur de O Sumo San
C’est par une belle journée ensoleillée que j’ai rendez-vous avec Philippe Marinig dans un somptueux hôtel en plein cœur du quartier cosmopolite de Tokyo à Roppongi. Le photographe qui a réalisé l’exposition « O Sumo San » en 2009 m’attend au 35ᵉ étage dans un lounge confortable surplombant la mégapole.
Assis dans un fauteuil, je reconnais tout de suite l’homme à la silhouette élancée, les yeux pétillants, plongé dans ses images qu’il consulte sur l’ordinateur. C’est dans une atmosphère décontractée qu’on fait connaissance et qu’il me montre ses magnifiques photographies qui ornent les mûrs de la salle le temps d’une exposition. Après quelques dizaines de minutes de conversation, l’interview peut commencer…
Bonjour Philippe, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs.
Philippe Marinig : Je m’appelle Philippe Marinig, je suis français né en France d’un père italien et j’ai émigré en Afrique du Sud en 1991 où j’y ai adopté la nationalité, ce qui me donne un côté citoyen du monde. Je vis entre l’Afrique du Sud, La France et le Japon.
Qu’est-ce qui vous a amené à la photographie ?
Philippe Marinig : Ça s’est fait naturellement depuis tout petit déjà. J’ai toujours eu un appareil photo entre les mains dès 10 – 12 ans puis j’en ai fait mon métier. Mon travail a eu différentes facettes qui m’ont amené dans plusieurs pays.
Vous êtes un spécialiste de l’Afrique, qu’est-ce qui vous a amené au Japon ?
Philippe Marinig : Dans les années 80, j’étais plutôt photojournaliste et j’allais en Afrique pour couvrir des conflits comme pigistes pour des journaux, ce qui m’a conduit au Burkina Faso, au Liberia ou encore en Sierra Leone.
Mais l’Afrique, c’est tellement grand. En fait, Le Cap n’a rien à voir avec le reste du continent, c’est une sorte de studio photo à ciel ouvert qui est devenu la plaque tournante des productions publicitaires mondiale depuis 1996. Je suis au Cap, mais ça n’a rien à voir avec l’Afrique, car les clients qui viennent en Afrique du Sud sont majoritairement européens.
Ma venue au Japon vient d’un dîner avec un ami qui m’avait conseillé d’aller voir le film « Lost in Translation », et quelques jours plus tard un autre ami m’invitait à lui rendre visite à Tokyo. Je n’avais aucune prédisposition ou de passion particulière pour le Japon, mais je ne connaissais pas ce pays. Je me suis retrouvé au Japon comme un touriste lambda. J’ai vu le film « Lost in Translation » après ce premier séjour et il n’y avait pas mal de coïncidences avec mon voyage, je m’y suis senti bien et j’ai voulu y revenir.
Pourquoi avoir choisi le sumo comme thème ? C’était un sport que vous connaissiez déjà ?
Philippe Marinig : J’ai fait une première expo à Tokyo qui s’appelle Natural Ecstasy avec des sujets africains, c’était un travail sur des formes abstraites des dunes de sables du désert de Namibie vues du ciel. Des personnes m’ont dit que j’avais un regard différent et qu’il serait bien que je traite d’un sujet japonais. La liste des sujets japonais, ce sont rapidement des clichés, c’est le côté urbain, les filles d’Harajuku, les geisha et les sumô en font partie. C’est un cliché pour les gens qui n’habitent pas au Japon.
Je ne connaissais rien, j’avais une idée très vague de cette discipline mais étant créateur j’ai voulu travailler mon regard à la manière du peintre Fernando Botero. Le corps du sumo m’intéressait.
Quel était votre objectif en montrant le monde des lutteurs de sumô ? Est-ce un projet purement graphique ?
Philippe Marinig : Le projet même à la base était abstrait mais ça m’intéressait, donc il a fallu m’approcher du sujet. J’ai essayé d’obtenir les autorisations par les institutions, mais tout ça ne menait nulle part, car ils ne savaient pas ce que je voulais faire et moi non plus.
Je suis allé assister à un tournoi de sumo et là, j’ai pu découvrir le sumo.
Qu’est-ce qui vous a frappé le plus lors de cette première expérience au tournoi ?
Philippe Marinig : C’est le public avec ce côté festif et sympathique. Dès qu’on arrive, on est tout de suite pris par l’ambiance.
Je ne pouvais pas lire les noms, je ne connaissais pas les combattants et étant tout seul, je n’y comprenais rien, mais il y avait cette ambiance particulière. Les Japonais sont en général très sages, mais là, ils se lâchaient.
Les photos de l’exposition « O Sumo San » ont été prises à la Isegahama beya et Oguruma beya. Pourquoi ces deux heya et était-ce facile de s’y faire accepter ?
Philippe Marinig : Quand j’ai assisté à cette première journée de tournoi, j’ai essayé de faire le maximum d’images mais je n’étais pas assez près et je ne cherchais pas à faire de la photo sportive. C’est vite devenu frustrant alors j’ai cherché une autre place et je me suis retrouvé assis à côté d’une Japonaise où je suis resté jusqu’à la fin. Cette femme avait l’air fan de sumo et semblait bien s’y connaître, mais la discussion n’était pas aisée. J’ai continué de faire des images malgré tout et à la fin je lui ai donné une invitation pour mon exposition « Natural Ecstasy » à l’Institut français. Elle est venue et il s’est avéré qu’elle parlait anglais ; je lui ai expliqué ma démarche et elle m’a expliqué qu’elle pouvait me présenter une heya car elle connaissait l’épouse de l’oyakata. C’est la pièce clé de mon histoire et ça s’est fait par coïncidence.
Je suis entré à la Isegahama beya et c’est fascinant la première fois qu’on assiste à un entraînement. Pour les photos, cette Japonaise a essayé de m’aider pour savoir ce que je désirais faire comme clichés. J’ai pu déjeuner avec le yokozuna Asahifuji, lui poser des questions… Quelques jours après, cette femme me dit qu’un journaliste de l’« Asahi Shimbun » veut m’interviewer, je ne comprenais pas trop comment les rôles s’étaient inversés ! Ce journaliste m’interviewe, vient voir mon exposition à l’Institut français et je lui montre mes premières images sur le sumo.
Je reçois un article en japonais disant que Sarkozy avait critiqué le sumo mais je n’étais pas au courant de cette affaire*.
L’article de l’Asahi Shimbun disait en gros que le nouveau président de la France n’aimait pas le sumo mais grâce au travail d’un photographe français, la relation entre les deux pays allait continuer. Ils se sont un peu servis de moi pour régler leur problème politique et du coup cet article m’a servi.
Le projet avançait pas mal, j’ai pu rester avec eux et faire beaucoup d’images. Cette femme m’a éduqué en m’expliquant les règles car au départ, je confondais les lutteurs.
Combien de temps a été nécessaire pour faire ce travail ?
Philippe Marinig : C’est l’exploitation d’un an et demi à deux ans de travail. Ça s’est fait sur plusieurs voyages, plusieurs tournois ; le premier commanditaire, c’était l’Institut français qui avait créé spécialement pour l’exposition des supports qui rappellent le toit suspendu au-dessus du dohyô.
Quel lien aviez-vous avec les lutteurs ?
Philippe Marinig : Ça fait 7 ans que je vais les voir et même s’il y a des nouvelles têtes avec le temps, j’ai toujours d’excellents contacts avec eux.
Est-ce que photographier des sumo vous a amené à travailler différemment que par le passé ?
Philippe Marinig : Ce n’était pas un travail défini pour une publication, j’étais libre alors j’ai partagé mon ressenti et ce que je vivais. Ça prend du temps, mais je continue depuis 2009 à les prendre en photo.
Le noir et blanc est très utilisé dans vos clichés, pourquoi ce choix ?
Philippe Marinig : Il y a tout de même beaucoup de photos en couleurs mais c’est une couleur monochrome. Avant même de commencer, pour moi l’image des lutteurs c’est une image d’estampe. À mes yeux, je pense que c’est la bonne représentation. Ça a dû m’inspirer.
J’ai été très honoré d’exposer au musée Albert Khan qui regroupe une grande collection d’autochromes, c’était une vraie coïncidence.
Comment le public japonais a-t-il accueilli cette vision du sumô par un “gaijin” ?
Philippe Marinig : C’était des images qu’ils n’avaient pas vues, un regard différent. Les Japonais ne consomment pas les images de la même manière que nous. Les lutteurs étaient très intéressés, ils souriaient. Que du positif en somme. C’était un travail dans le pur respect.
Une anecdote marquante à nous narrer ?
Philippe Marinig : Cette histoire avec le président français, c’était quelque chose !*
Vous avez un projet en cours qui porte sur le sumo, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Philippe Marinig : Je suis sur un projet d’images filmées. Je travaille aussi en étroite collaboration avec Daimon Kinoshita (artiste d’ukiyo-e) mêlant photographie et calligraphie.
Merci beaucoup Philippe.
Avant notre séparation, Philippe Marinig tient à m’offrir une estampe de son ami Daimon Kinoshita qui représente tous les yokozuna. Le lendemain, l’artiste partait à Kyoto pour continuer son travail sur le monde des geishas. Nous ne manquerons pas de vous tenir informé de ses prochaines expositions.
Philippe Marinig, son site officiel
Nous avions déjà parlé de l’exposition O Sumo San de Philippe Marinig dans un précédent article. Retrouvez en bonus son interview donnée à l’époque pour France Culture.
Sources : Le JDD et La Dépêche
Merci pour cette interview, c’est un délice et les photos vraiment belles 😉 !!